Des traducteurs amateurs en doublage

SYLVIO LE BLANC – 02/08/2019

Plusieurs adaptateurs dans le milieu du doublage québécois n’ont pas la formation requise pour traduire les dialogues de films, essentiellement de l’anglais au français. Il s’agit souvent de comédiens qui s’improvisent traducteurs, comme si parler et comprendre l’anglais étaient suffisants. Sur les fiches du site web doublage.qc.ca (le site internet officiel du doublage au Québec), il arrive même qu’aucun nom d’adaptateur ne soit précisé, ce qui en dit long sur l’importance qu’on accorde à cette fonction pourtant capitale. Comment se surprendre alors que des films soient si mal doublés au Québec ?

Déjà, à la fin du siècle dernier, un critique sonnait la fin de la récréation : dans [le] domaine […] du doublage local des films étrangers, notamment américains, des améliorations notables restent encore à apporter au vocabulaire, à la syntaxe et à la grammaire utilisés par les comédiens québécois.

« Qui est-ce qui est là ? » pour « Qui est là ? » ; « Où est-ce que tu es ? » pour « Où es-tu ? » et, la meilleure, « la grandeur de cette personne », pour « la taille de », voilà quelques exemples navrants pris au hasard illustrant la pauvreté de la langue parlée des “doubleurs” québécois qui ont travaillé sur La Fiancée de Chucky. Ce n’est pas la seule production étrangère à devoir subir ce genre d’affront. Beaucoup d’autres films, dont la qualité est supérieure, héritent d’un doublage déficient, non seulement en matière de vocabulaire et de grammaire, mais aussi dans l’intonation. C’est ainsi que de grands acteurs et de magnifiques actrices se font voler une bonne partie de leur performance (leur voix) par des incompétents.

Le doublage québécois du Désosseur est quelconque. Notons, à ce sujet, l’emploi du mot fabriqué « ressuscitation » en lieu et place de « résurrection ». C’est ce genre d’erreur impardonnable qui fait la (mauvaise) réputation de l’industrie québécoise du doublage au sein de la francophonie.

Petit coup de gueule personnel au responsable du doublage (québécois de Bruce le tout-puissant). Pourquoi Nolan fait-il un reportage sur des pâtissiers mitonnant le plus gros « cookie ? » Vous n’avez pas trouvé le mot “biscuit” dans le dictionnaire ?

Les cinéphiles ne sont pas en reste : j’enrage en entendant les nombreuses maladresses de traduction et fautes de français, la diction laborieuse, les intonations chantantes ou qui manquent de naturel ou de force. Souvent, mon intérêt pour le film se perd, quelle que soit sa qualité par ailleurs, car je ne parviens plus à croire à des personnages qui sonnent faux et s’expriment dans un français qui sent la traduction.

Mais ce qui m’énerve le plus, ce sont LES FAUTES DE FRANÇAIS ; elles sont grossières et trahissent tout de suite la traduction faite ici. Arrêtez de prétendre que les gens qui paient pour vous entendre sont tous derrière vous. Ils SUBISSENT souvent votre travail peu soigné. Si vous voulez que vos versions soient appréciées, commencez donc par ne pas les bâcler. Il arrive fréquemment que les répliques soient incorrectes : calques de l’anglais, anglicismes, faux amis, tout y est. Un bon dictionnaire et un travail plus professionnel sont nécessaires. Quand la qualité sera au rendez-vous, nous pourrons vous appuyer dans vos revendications.

Que cesse ce cirque ! En effet, du respect pour nos oreilles, SVP. Accent fabriqué, expressions souvent anglicisées, prononciations bilingues qui nous pètent les tympans (…). Le doublage franco-français est un antidote au régionalisme nasal.

Le journaliste et auteur Samuel Larochelle est catégorique : les langagiers québécois font tout pour traduire en français international, contrairement aux Français qui utilisent plusieurs expressions très franco-françaises.

La traductrice primée Luise von Flotow, de l’Université d’Ottawa, ne pense pas autrement : il nous semblait qu’une population qui rejette le français made in France et qui préfère le doublage local préférerait aussi entendre une version locale de son français. Or non seulement l’accent et les régionalismes québécois (y compris les blasphèmes) sont généralement bannis des films doublés au Québec, mais la peur de faire des “fautes”, de présenter un français de mauvaise qualité, entraîne aussi une perte de créativité dans la traduction.

Pour d’autres critiques, ce sont les rares adaptations en joual qui posent problème, comme dans Le Trotski : cette postsynchronisation [sic] en joual québécois s’avère plus qu’un agacement, elle dénature notre plaisir. Entendre un juif de l’ouest de l’île roter un “osti de tabarnac” avec la voix de Xavier Dolan fait friser les oreilles. Et décrocher.

L’insipide doublage québécois de la comédie salace Sale grand-père deviendra-t-il la norme au Québec ? Un responsable de VVS Films, le distributeur, explique : il était impératif d’adapter le scénario pour que le public québécois puisse comprendre et trouver ses repères. Plusieurs expressions du film sont traduites à partir du vocabulaire utilisé par notre clientèle cible, mais en préservant un accent très neutre et international, afin d’éviter le joual. Un critique a quant à lui parlé d’un mélange d’expressions québécoises avec un accent français. Vous avez bien lu ! Pour ce doublage, le distributeur souligne en outre avoir profité de l’expertise des membres de… l’Union des artistes. Pitoyable !

Si vous parcourez les fiches du site doublage.qc.ca, vous pourriez tomber sur cette information : « Adapté en France », mais rarement. Si nos 12 maisons de doublage ne sont pas en mesure d’embaucher des traducteurs diplômés et qualifiés, que les distributeurs achètent les doublages français, point à la ligne.

Montréal-Québec

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