Driss Lyakoubi, 12 mai 2019
Les amoureux de la magie du verbe étaient au rendez-vous avec une forme d’expression littéraire japonaise tout à fait originale, baptisée «Haïku». C’était lors de la troisième édition du colloque sur le «Haïku», tenu récemment à Rabat, autour du thème «La trans-poétique, un pont entre les cultures». Les invités d’honneur de cette édition n’étaient autres que l’écrivain et poète japonais Keijiro Suga et le romancier marocain Ahmed Bouzfour.
L’initiateur de cet événement culturel, le poète et haïkiste Abdelkader Jamoussi a souligné que la tendance actuelle dans les différentes formes d’expression littéraire et artistique se caractérise par la brièveté et l’intensité, en harmonie avec l’esprit du temps et le rythme actuel de la vie. «Notre époque ne supporte plus la redondance et le verbiage, d’où la profusion de nouvelles expressions littéraires circoncises, telles que la nouvelle, la micro-nouvelle et les poèmes courts», a-t-il indiqué, soulignant que ce colloque consacré au Haïku et à la trans-poétique tente de poser la question de l’esthétique et l’efficience de la poésie dans son rapport avec les diverses formes d’expression littéraires et artistiques contemporaines, et par delà, à célébrer la poésie en vue de créer un espace de jouissance et de dialogue entre ces différents courants artistiques.
De son côté, l’écrivain Ahmed Bouzfour a mis l’accent sur l’importance de créer des rencontres culturelles et littéraires entre des poètes, écrivains et auteurs de différents horizons. Il n’a pas manqué de rappeler le lien fort existant entre la poésie et la prose ou le récit. L’auteur de «Ta’abbata Chiârane» a étayé ses propos par la lecture d’un petit passage de sa nouvelle intitulée «Al Amir Alhazine» qui allie allègrement littérature et poésie. Pour sa part, le grand poète japonais, Keijiro Suga a consacré son intervention sur la trans-poétique qui renvoie à la transcendance des frontières. Il considère que toute poésie aspire à l’universalité, tout en puisant sa substance de la culture locale. Il a souligné, à cet égard, l’importance du voyage comme moyen de transcender soi-même afin de partager avec l’autre sa propre expérience. Le poète, traducteur, critique et professeur à l’Université de Meiji (Tokyo) a évoqué, à cet effet, le psychanalyste français Félix Guattari, qui avait expliqué, dans un article publié dans la revue «Psychanalyse et transversalité», qu’il existe une subjectivité sociale mondiale porteuse de vie et de désir, inaccessible au moi et transversale aux grands ensembles institutionnels hiérarchisés qui prétendent gouverner le monde. «Nous vivons non pas dans un univers, mais un multivers», a-t-il souligné, faisant référence à l’existence d’univers multiples.
Zlatka Timeneva a aussi été l’une des invités de marque de ce colloque. Grande spécialiste du Haïku, cette universitaire bulgaro-portugaise a tenu à rappeler que notre destin est de vivre entre ici et là, entre le passé et le présent, entre le même et le différent, entre la naissance et la mort, entre le doute et la certitude… «L’époque contemporaine est particulièrement marquée par ce phénomène de perméabilité culturelle et d’étrangéité qui met à l’épreuve l’intelligence et l’imagination créatrice de l’être humain», a-t-elle indiqué.
Évoquant les origines du Haïku, Zlatka Timenova a révélé que cette forme poétique a pour origine la rencontre «heureuse» entre la culture japonaise autochtone et le substrat culturel chinois. «Du Taoïsme chinois, le Haïku va adopter l’idée de l’instant, la spontanéité et la liberté de l’esprit et de vie, ainsi que la perfection par le silence, la méditation sur soi-même, la contemplation de l’univers et la perfection libérée de l’intelligence ; alors que le bouddhisme japonais va enraciner le Haïku dans la pensée dialectique de “l’identité des différences” et dans “l’indifférenciation des opposés”», a-t-elle affirmé.