03/05/2019 Par Tatiana Chadenat
Écrivain multi-récompensé, chroniqueur pour “El País”, traducteur et professeur de littérature, Javier Cercas est l’un des plus grands auteurs hispanophones de notre temps. Retour sur le parcours et l’engagement de cet intellectuel européen.
“On ne peut pas comprendre la littérature espagnole sans la littérature française. Impossible, complètement impossible, sans Balzac, sans Baudelaire, sans Verlaine qui a été absolument essentiel, la littérature européenne existe depuis toujours”. Portrait de l’écrivain espagnol Javier Cercas sous le prisme de son engagement pour l’Europe.
Javier Cercas naît en 1962 dans le petit village d’Ibahernando, à l’ouest de l’Espagne. Grand lecteur à l’adolescence, il découvre l’argentin cosmopolite Jorge Luis Borges. Plus tard, il se définira lui-même comme un “écrivain européen”, défenseur d’une Europe fédérale et multiculturelle.
Cervantes a été compris et assimilé en premier lieu par des écrivains français et des écrivains anglais avant les écrivains espagnols. Diderot a été un des meilleurs lecteurs de “Don Quichotte”. “Jacques le fataliste”, c’est un chef-d’œuvre, il a compris ce livre, il a vu qu’il était extraordinaire et c’est là qu’a commencé l’histoire du roman. Sterne, en Angleterre, a très bien compris “Don Quichotte”. En Espagne personne n’avait lu si bien ce livre extraordinaire, révolutionnaire.”
Javier Cercas
Dans les années 1980, diplômé de philologie à Barcelone, Javier Cercas part enseigner aux États-Unis. Il y publiera ses premiers romans qui passent relativement inaperçus. De ces années passées outre-Atlantique, il dit avoir senti son attachement à “une collectivité”. L’Espagne, au cœur de son œuvre. La plupart de son œuvre traite de l’héritage de la guerre civile espagnole comme Les Soldats de Salamine, best-seller qui le rend célèbre à 39 ans.
Quand je parle de l’Espagne, je parle de l’Europe. La guerre d’Espagne, ce n’est pas seulement la guerre d’Espagne, c’est une guerre européenne, pas seulement parce qu’il y a eu des Européens, y compris des Français qui sont venus pour lutter contre la République ou pour le fascisme mais parce que la guerre d’Espagne a été le premier acte de la Seconde Guerre mondiale. Je ne peux pas ne pas parler de l’Europe dans mes livres.”
Javier Cercas
Il a quatre ans lorsque sa famille quitte son village natal pour la Catalogne, où il restera presque toute sa vie, s’intégrant fortement dans la culture. Il étudie la littérature catalane à l’université, traduit des ouvrages en catalan, parle la langue avec sa famille. En 2017, il qualifie le séparatisme catalan de “populisme” et le référendum sur l’indépendance de “coup d’État”.
On doit continuer à être espagnols, Français et Italiens, et avoir une langue et des cultures différentes, mais un seul État, la diversité culturelle linguistique et l’unité politique. L’Europe unie, c’est l’unique utopie raisonnable que nous avons inventée, nous, Européens. C’est le seul projet politique qui peut assurer la paix, la prospérité et la démocratie c’est-à-dire la liberté. Mais le problème de l’Europe, c’est qu’elle a commencé par être un projet élitiste et aujourd’hui c’est encore un projet élitiste.”
Javier Cercas
En 2016, Javier Cercas reçoit le prix du livre européen pour L’Imposteur, réflexion autour de la figure du héros, basée sur l’histoire vraie d’Enric Marco, qui a prétendu toute sa vie avoir été déporté en Allemagne. En recevant le prix, il fait un plaidoyer au Parlement européen pour une Europe “plus unie”.
Il n’y a pas un système culturel, il n’y a pas des magasins, pas de journaux, il n’y a pas une opinion publique, des débats, il n’y a pas d’écrivains qui signifient quelque chose dans tous les pays européens. Il n’y a même pas de prix littéraire européen. Il y en a un, je le sais car on me l’a donné il y a trois ans, mais je ne savais qu’il existait donc ça n’a aucun sens. Il faut créer un système littéraire européen. Je crois qu’il y a une résistance, pas seulement du pouvoir politique, mais aussi du pouvoir littéraire. C’est dur à dire, mais je crois que c’est vrai.”
Javier Cercas