Au Maroc, le débat sur les langues d’enseignement continue de diviser, entre ceux qui défendent la langue arabe et les partisans de l’usage de la langue française pour enseigner les matières scientifiques, comme Hassan Aourid. Pour l’enseignant-chercheur, politologue, écrivain et ancien porte-parole du Palais, la question doit être abordée loin de tout «prisme idéologique».
Que pensez-vous en tant qu’enseignant-chercheur du débat actuel sur les langues d’enseignement ?
C’est un vieux débat. Ce n’est pas la première fois que la question des langues se pose. Cela a toujours pris un aspect idéologique, depuis pratiquement l’orée de l’indépendance. Actuellement, c’est un autre aspect. Lorsqu’on aborde la question de l’arabisation, nous parlons de faits. Il y a eu l’arabisation des disciplines scientifiques mais ça été un échec : l’étudiant qui a le bac devrait faire ses études supérieures en Français mais il est complètement dépaysé et désarçonné. Un certain nombre de professeurs d’université avaient appelé à des cours de rattrapage en langues, ce qui est inadmissible. Deuxièmement, et en termes de classement, nous sommes à la traîne. Il y a un problème en termes de qualité. Nous parlons finalement d’un échec patent.
Quelle est donc votre position dans ce débat ?
Je considère que le fait de choisir ou d’opter pour l’enseignement des langues étrangères et particulièrement le français s’impose. Il ne faut donc pas aborder la chose sous un prisme idéologique. Car ceux qui le font seront tout simplement déclassé. Si le PJD aborde la question, c’est ce PJD qui préside le gouvernement. Il y a donc une contradiction qui au regard du droit constitutionnel ne s’explique pas. Si l’Istiqlal critique, il est responsable aussi des déboires et des convenus du système éducatif. On sait également que ceux qui prônaient l’arabisation n’avaient pas hésité à mettre leurs enfants dans les missions françaises.
Mais les défenseurs de la langue arabe évoquent notamment le problème de la maîtrise de ces langues étrangères…
C’est un autre problème. Effectivement il y a la question relative à la manière d’enseigner les langues. Ce n’est pas parce qu’en fin de compte ils ne maitrisent ni l’arabe ni le français qu’il faudra imposer à ces élèves et étudiants une langue. La bonne question est de comment faire en sorte que tout simplement l’élève puisse apprendre les langues, parce que la manière dont elles sont dispensées est mauvaise. Quand un bachelier -donc quelqu’un qui a passé au moins 12 ans à apprendre le français- qui n’arrive toujours pas à s’exprimer, c’est qu’il y a tout simplement un problème. Souvent, l’école chez nous n’est pas un lieu pour dispenser le savoir mais c’est presque une garderie.
Selon vous, ce débat a-t-il une place compte tenu de la situation de l’école publique ou encore les problèmes du secteur de l’Education nationale ?
Bien sûr. Tout est urgent dans ce chantier. Mais la question de la langue est fondamentale. Et quand je parle de l’enseignement des langues étrangères, cela ne veut pas dire de cesser d’enseigner les langues arabe ou amazighe mais enseigner les langues étrangères dans les disciplines scientifiques. Je n’ai jamais dit qu’il faudra sacrifier ni l’arabe ni l’amazighe mais je considère que pour tout ce qui est disciplines scientifiques, comme les mathématiques, les sciences physiques, la chimie, il faut les enseigner en français. Il y a les matériaux, les manuels, etc. On aurait pu être dispensé de ce débat s’il y avait par exemple un travail sérieux en termes de traduction. Si par exemple la langue arabe avait pu finalement combler des lacunes par un travail de traduction dans différentes académies, ce qui n’est malheureusement pas le cas.
L’enseignement des matières scientifiques par des langues étrangères contribuera-t-il selon vous à l’enrichissement de la recherche scientifique ?
Je le pense sérieusement et pas seulement en français. Il faut préparer aussi nos enfants à l’anglais. Ceci ne se fera pas par un décret ou une simple décision. C’est un processus qui contribuera incontestablement à améliorer pratiquement la qualité de notre enseignement aussi bien dans le cursus que dans la recherche.
YASSINE BENARGANE