Le nouveau livre de cuisine de Yasmin Khan, “Zaitoun,” (L’olive) rend compte de ses séjours en Cisjordanie et à Gaza et de la beauté de la nourriture qu’elle y a trouvée.
En Novembre 2016, lorsque l’auteure de livres de cuisine Yasmin Khan est rentrée chez elle à Londres après la récolte des olives en Cisjordanie sous occupation israélienne, elle a été confrontée à un problème : quelle que fût l’énergie qu’elle y mettait, elle ne réussissait pas à écrire.
Son manuscrit d’un livre de cuisine palestinienne était à remettre au printemps suivant. Mais les images des checkpoints militaires israéliens et des soldats qu’elle avait vus lors de ses déplacements en Cisjordanie et à Gaza occupaient toute sa tête. En tant qu’écrivaine, elle se sentit inhabituellement craintive, avec une tendance à combattre un élan d’auto censure avant que les mots n’atteignent la page.
« Je me sentais vraiment perturbée par ce que j’avais vu » se rappelait-elle récemment à New York. « Je me disais aussi : que diable suis-je en train de faire en écrivant un livre de cuisine ? » « Est-ce que ce n’est pas totalement frivole ? »
Elle est sortie de l’impasse en revisitant les écrits d’Anthony Bourdain, dont les mots de réconfort lui ont donné de l’énergie. Elle s’est fait à elle-même un discours d’encouragement : « arrête d’essayer d’aseptiser ou de faire quelque chose de joli alors que c’est douloureux ».
Zaitoun : Recettes de la Cuisine Palestinienne, qui sort aux États Unis cette semaine chez W.W. Norton&Cie, documente les voyages de Mme Khan et donnent un éclairage sur la beauté de la cuisine palestinienne ainsi que sur la réalité politique qui l’environne.
Elle a décrit son travail comme une « anthropologie culinaire » qui utilise la cuisine comme medium favorisant la compréhension culturelle. « Je suis très intéressée à décrire la somme de l’expérience de vie via la nourriture » dit-elle. « Cela veut dire transmettre les défis aussi bien que les parties joyeuses ».
me Khan qui a 37 ans, a observé une grande beauté lors de deux voyages distincts pour ce livre. Elle a été enchantée par la qualité des produits. Les choux fleurs deviennent plus gros que tous ceux qu’elle a vus dans sa vie. « Je dirais qu’ils sont aussi gros que ma tête » dit-elle en riant. « Mais je ne pense pas que ma tête soit assez grosse ».
Les têtes de choux fleurs au supermarché Whole Foods, près de l’appartement de sa sœur à Brooklyn, sont chétives en comparaison. Mme Khan les a hachées en petits bouquets, les feuilles étant laissées telles quelles, et elle les a rôties au four ; elle a doucement introduit les bouquets dans un bol de soupe préparée par elle le matin à partir de chou fleur rôti écrasé avec de l’ail, des pommes de terre et du curcuma.
L’alimentation palestinienne peut être classée en trois catégories, a-t-elle expliqué : il y a la cuisine à base de pain et de viande de Cisjordanie, dont Jérusalem Est et allant jusqu’au Jourdain. La nourriture en Galilée, qui est à l’intérieur d’Israël et comprend des villes comme Nazareth, est très proche de la cuisine levantine, avec son taboulé et les kebbés. La cuisine de la bande de Gaza, une terre dense grande comme un timbre, qui a une frontière avec l’Égypte, est largement basée sur le poisson et elle est fougueuse. Parmi les plats de Gaza les plus chéris on a le zibdiyit gambari, un ragout de tomates épicé au piment jalapeño et moucheté d’aneth. Le ragout est épaissi à la chaleur, les crevettes à peine cuites jusqu’à ce que leur chair grise vire au rouge.
Ce qui réunit des différentes sortes de cuisine palestinienne est l’amour de l’olive, zaitoun, ainsi que le yaourt. Mme Khan a mis une cuillérée de yaourt sur une pile de carottes rôties, certaines aussi pourpres que des prunes, d’autres jaunes d’or mélangées à du sésame et à des graines de nigelle. Elle les a enduites de yaourt avant de les arroser d’huile d’olive.
Mme Khan est tombée amoureuse de la nourriture palestinienne quand elle s’est trouvée en Cisjordanie il y a dix ans alors que dans une vie antérieure elle travaillait sur les droits humains avec War on Want, une association britannique qui se consacre à des initiatives contre la pauvreté. (Mme Khan a quitté le groupe en 2011. En 2018, ce fut une des 20 organisations placées sur liste noire par Israël pour son soutien au boycott économique, culturel et académique d’Israël). Ces temps étaient affligeants.
« Voir concrètement le dispositif de l’occupation israélienne de la Cisjordanie m’a été très pénible » dit-elle.
Elle s’est rendu compte que la nourriture calmait sa fureur. Chaque soir au coucher du soleil, elle se mettait à table dans des villages et des cafés, et elle mangeait du houmous aussi doux que le satin, des baklavas et des paillettes de pâtisserie qui s’émiettaient, leurs diamants coulant en sirop.
« Une des certitudes sur le Moyen Orient est que quoi qu’il se passe, vous pouvez être sûre que tout invité est comblé de nourriture et de boisson » dit-elle.
Initialement avocate, Mme Khan a fini par se lasser de son travail. « J’y ai mis tous mes efforts pour avoir un burn out à 30 ans » dit-elle.
Elle s’est tournée vers la nourriture. Mme Khan, qui a grandi à Birmingham en Angleterre, de père pakistanais et de mère iranienne, a publié Les contes du safran en 2016, un livre de cuisine iranienne teinté des notes d’introspection d’un mémoire.
L’écriture de « Zaitoun » a été un exercice différent. Plutôt qu’un regard vers l’intérieur, comme elle le fit pourLes contes du safran, elle s’est considérée comme un canal pour « Zaitoun » : elle s’est effacée et a simplement écrit ce qu’elle voyait de l’extérieur.
Elle était consciente aussi de la tension qui pouvait naître du fait de son travail d’écriture sur l’alimentation palestinienne par une auteure non palestinienne. « Je fais très peu de commentaires » a-t-elle dit. « Tout ce qui est dit émane de Palestiniens ».
Elle s’est fait fort également de ne pas citer de sources israéliennes dans le livre, espérant que cette absence serait un message : la voix des Palestiniens n’est pas toujours entendue. Écoutez.
“Zaitoun” est la dernière publication d’une explosion de livres de cuisine en anglais affichant fièrement un nom palestinien, dont La cuisine de Gaza de Laila El-Haddad publié en 2013 et La Table palestinienne de Reem Kassis (2017). Pendant des années le seul livre de cuisine palestinienne en anglais était La cuisine palestinienne classique de Christiane Dabdoub Nasser, publié en 2000, sur lequel Mme Khan s’est beaucoup appuyée dans sa recherche.
La forte résonnance des livres de cuisine palestinienne au-delà du Moyen Orient a toute son importance pour Joudie Kalla, l’auteure de La Palestine sur une assiette et de Baladi, deux ouvrages publiés ces trois dernières années.
« Si vous regardez bien, vous pouvez voir que ces livres maintiennent vivant notre patrimoine dans un monde qui tente tellement désespérément de nous cacher » dit Mme Kalla qui vit à Londres. « Et cela ne mène nulle part ».
Sami Tamimi, le chef palestinien installé à Londres, auteur de Jérusalem avec le chef israélien Yotam Ottolenghi – le livre de cuisine de 2012 souvent crédité d’une curiosité exaltée sur la cuisine du Moyen Orient – a attribué l’intérêt croissant pour les livres de cuisine palestinienne à la convergence de facteurs culturels et politiques.
« Le marché, il y a dix ans, n’y était probablement pas prêt » dit Mr Tamimi, qui est né à Jérusalem. Les images des media, dit-il, ont créé l’impression que tous les Palestiniens vivent dans le danger et la destruction. Il reconnaît l’aide que les réseaux sociaux apportent à la diffusion d’une vision plus nuancée de la culture palestinienne, offrant à des personnes extérieures la possibilité de voir que « ce sont des gens normaux vivant des vies normales ».
Le Moussakhan, en plus d’être énergisant et réconfortant, est un plat de poulet très apprécié des Palestiniens. Jeenah Moon pour le New York Times
Pour Mme Khan, mettre en avant la résilience dans la cuisine palestinienne a été un aspect vital de son projet. Elle a été confrontée à des défis à sa mission. En Grande Bretagne, des commentaires ont été faits pars des étrangers sur les réseaux sociaux, lui disant que la cuisine palestinienne n’existait pas.
Les Palestiniens, comme les gens du monde entier, sont face à des situations difficiles » a-t-elle dit. « Mais ils jouissent aussi de la vie. Ils existent ».
Elle avait passé la plus grande partie de la matinée à Brooklyn, à préparer du moussakhan, à faire mariner des oignons rouges et du poulet enduit de sumac. Le poulet fut rôti jusqu’à ce que son jus jaillisse de la chair et les oignons furent cuits jusqu’à ce qu’ils soient tendres et doux. Mme Khan les a entassés sur un lit de naan et le pain s’est mis à briller de la teinte magenta du sumac.
Ce plat est l’essence de la cuisine palestinienne ; il se caractérise par la finesse de ses saveurs. Le sumac, qui donne au poulet une astringence énergisante, est son élément le plus crucial, a insisté Mme Khan : « c’est très vivifiant »
Traduction: SF pour l’Agence Media Palestine
Source: New York Times
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