23 janvier 2019 par Krokodilo
L’abus d’anglais dans les médias et la pub, son obligation (de fait) de 7 à 77 ans, sa progression dans les études supérieures, bref son omniprésence, ont des conséquences délétères non seulement sur notre propre français (qui se souvient sans effort de mémoire des équivalents francophones de coach, prime time, … ?) mais aussi sur la qualité des traductions de … l’anglais !
Pour ce qui est des médias, nous avons récemment vu à quel point leur cas est désespéré, avec leurs kids, young adults et autres batchcookings. Mais l’humble artisan de la traduction, lui (générique qui vaut aussi pour elle, faut-il le rappeler ?), demeure attaché, voire amoureux de sa langue. Il est pourtant lui aussi contaminé.
Il ne s’agit pas d’une énième discussion sur la traduction, « traduttore, tradittore », l’équilibre que chaque artisan-traducteur trouve entre le respect de la VO et celui de la langue cible – vieux débat insoluble, étant entendu qu’il s’agira toujours d’un compromis. Nous parlons d’excès progressifs, insidieux, qui altèrent et anglicisent encore davantage notre langue, en un cercle vicieux.
Quelques exemples en vrac.
Dans un récent polar anglais, par ailleurs traduit en un français classique et correct, nous avons relevé ces trois anglicismes – qui ne s’imposaient pas :
Gangmaster : pour celui-ci, le traducteur a expliqué par une note en bas de page que ce terme était intraduisible, car indiquant une profession (légale) inexistante en France, que l’on pourrait néanmoins traduire par le long « agence d’intérim en main d’oeuvre » ou plutôt « fournisseur de main d’oeuvre », une sorte de contremaître indépendant qui fournit des ouvriers à la demande, ici des immigrés récents plus ou moins clandestins, principalement dans le bâtiment et l’agriculture. La raison est recevable, mais il me semble que le lecteur moyen francophone traduit mentalement « gangmaster » par « chef de gang » (!) alors qu’il est clair dans le récit que la profession est légale, même si peu ragoûtante, créant involontairement un petit contresens mental.
Cupcake : n’est-ce pas simplement un petit gâteau, voire tout simplement un petit ou mini-cake ? Là encore il est vrai que les plats cuisines et spécialités locales souvent ne peuvent être traduits, mais un « cupcake » n’est pas un gâteau bien spécifique comme pourraient l’être un éclair, un mille-feuille ou un croissant.
Love stories : Même si en français on use parfois (trop) d’une « love story », c’est toujours au singulier. Pourquoi ne pas traduire tout simplement par « des histoires d’amour », d’autant que le mot amour est largement connu dans le monde, anglophone et non-anglophone.
Dans d’autres polars, par ailleurs très bien écrites me semble-t-il, on trouve souvent des bow-windows, qui ne sont finalement que des fenêtres en saillie, ou oriels. Et un « mug » est-il autre chose qu’une tasse ? Sur laquelle on lit parfois, dans les lieux touristiques, l’inscription « mug » ! (Authentique ! Le concept devrait être étendu : écrire « assiette » sur les assiettes, “casserole” sur les casseroles etc. )
Dans quelque temps, en mars, le salon du livre de Paris va lui aussi tomber dans la soupe anglophone mais, contrairement à Obélix, ça le rendra moins fort ! Il y aura des espaces Young Adult, Live, Bookroom (espace de rencontre), Brainsto (discussion entre auteurs) et Photobooth, pour finir par le Saloon of the Book – boire pour oublier notre décadence : c’est sad-hic ! (Source : Le Canard enchaîné 16/01/19.) Obélix donne des baffes aux Romains mais, dans la vraie vie, c’est l’inverse, on en prend plein !
Alors, messieurs les traducteurs (terme générique, bis !), sans tomber dans le fantasme d’une langue pure, un petit effort afin que « traduttore, tradittore » puisse se dire également : « traducteur, respecteur (!), passeur, voire défenseur » !