Par Sarah Ziaï 18/12/2018
Cette année, l’académie Nobel a connu un chamboulement sans pareil, suite au scandale d’agressions sexuelles par le Français Jean-Claude Arnault. C’est pourquoi, le prix Nobel de Littérature n’a pas été remis pour 2018. Néanmoins, la Nouvelle Académie a tout de même décidé de délivrer un prix Nobel alternatif de Littérature à l’écrivaine française Maryse Condé.
« C’est une langue qui est la mienne »
Ce 10 décembre dernier, le cinéma du Capitol qui surplombe Sankt Eriksgatan a accueilli un événement important pour n’importe quel amoureux de la littérature. En effet, le cinéma a diffusé un documentaire exceptionnel, Maryse Condé, une voix singulière, réalisé par Jérôme Sesquin. La diffusion se poursuit par une discussion en présence de Maryse Condé, de son époux et traducteur Richard Philcox ainsi que son éditeur en Suède, Dan Israël.
Dans ce film, on retrouve une caméra intime qui se fond dans les pensées, les envies, les rêves, les réflexions et les voyages de l’écrivaine guadeloupéenne. Maryse Condé nous parle comme à un ami nouveau et nous présente au fur et à mesure ses proches et les villes qui lui sont chères. On retrouve bien évidemment New York, sa ville de cœur, où elle a enseigné la littérature francophone à la célèbre Columbia University. Elle a fondé dans cette université le Centre des études françaises et francophones et a ainsi largement contribué à faire connaître la littérature francophone aux Etats-Unis.
Mais on la voit aussi en voyage en Guyane avec toute sa famille, à la rencontre des descendants des Nègres Marrons. Elle arpente aussi les rues de Paris, notamment dans le très littéraire 5e arrondissement qui abrite la rue des Écoles et l’Université Paris Sorbonne.
Maryse Condé présente aussi des proches : Christiane Taubira, Christiane Diop (la directrice de la revue Présence Africaine), le réalisateur Raoul Peck ou encore l’écrivain Erik Orsenna.
Face à la caméra, Maryse Condé revient également sur ses œuvres avec notamment les deux plus célèbres Ségou et Moi, Tituba sorcière noire de Salem. Elle explique :
Je n’écris pas en français ni en créole, mais en Maryse Condé. C’est une langue qui est la mienne. L’écrivain n’a pas de langue maternelle, il est un créateur de langue personnelle
Cette création d’une nouvelle langue est un pari réussi pour Maryse Condé. Quand on lit du Maryse Condé, on le sait, on le reconnaît dès les premières pages.
Les œuvres de Maryse Condé explorent de manière profonde l’être humain, sa beauté et ses vices, mais aussi les notions de pouvoir, de genre, de race et de classes sociales à la suite du colonialisme. Ce n’est donc pas pour rien que la Nouvelle Académie a choisi de récompenser cette grande dame de la littérature pour sa contribution incroyable au monde littéraire.
Vous pouvez retrouver ici le documentaire Maryse Condé, une voix singulière dans son intégralité :
« Un écrivain est un musicien »
C’est une phrase qu’a prononcée Maryse Condé lors de la discussion de lundi, alors qu’elle se comparait à Mozart. Et il est vrai, que l’œuvre de l’écrivaine guadeloupéenne porte la même grandeur, la même poésie, la même douleur, la même universalité que celle du compositeur et musicien autrichien.
Yukiko Duke, journaliste, traductrice et critique littéraire, était la maîtresse de cérémonie de cette discussion au Capitol. En racontant des anecdotes et en posant de fines questions, elle est parvenue à rendre la parole de Maryse Condé encore plus irrésistible qu’elle ne l’est déjà.
Yukiko Duke a raconté une histoire qui lui est arrivée dans un train au Japon alors qu’elle lisait un roman de Maryse Condé. Une dame l’aborde et lui demande avec émotion si c’est bel et bien un ouvrage de l’écrivaine qu’elle a entre les mains. Suite à la réponse affirmative de la journaliste, la dame se réjouit et explique à quel point elle aime les romans de Maryse Condé. L’occasion pour l’éditeur Dan Israël de rappeler à quel point les romans de l’écrivaine sont humains et parlent à tout le monde partout dans le monde : c’est ça, la vraie force de la littérature. Maryse Condé, quelque peu émue par l’anecdote, confirme ce propos en affirmant que la littérature ne connaît pas de frontières. C’est un territoire de rêves, de désirs, de craintes, d’envies, de bonheur, de cruauté, d’ambition : bref, c’est un espace d’humanité.
Mais il faut rappeler, que si ce territoire s’agrandit toujours plus, c’est aussi grâce aux traducteurs. Alors que Maryse Condé semble gentiment en vouloir parfois aux traductions de son mari qui diffèrent du texte ou du titre original, elle avoue aussi que sans traducteur, il n’y aurait pas de Maryse Condé dans le monde. Son mari, Richard Philcox confirme cela et précise que, selon lui, le traducteur est comme un acteur. Il s’agit d’interpréter au mieux ce que le réalisateur/auteur veut transmettre tout en montrant aussi sa personnalité et sa propre interprétation. Etre traducteur, c’est un travail délicat d’équilibriste entre un écrivain et le monde qui attend son œuvre.
La discussion s’est ainsi achevée avec quelques questions et félicitations du public et cette phrase significative de l’éditeur Dan Israël :
Time has finally catch up with Maryse (Le temps est finalement parvenu à rattraper Maryse)
Ce propos met en valeur l’incroyable modernité et universalité portées dans l’œuvre de l’écrivaine guadeloupéenne.
La rédaction souhaite donc présenter à nouveau ses félicitations à Maryse Condé pour le prix qu’elle a reçu. Nous vous conseillons aussi vivement de lire les œuvres de cette grande autrice de notre temps !