Cet article trouve son origine dans la coexistence de deux appellations pour une même réalité : une monnaie qui existe sous forme de code informatique et n’a pas d’autorité centrale d’émission, dont l’historique des mouvements est impossible à reconstituer et qui, comme l’argent liquide, ne peut être récupérée en cas de perte, à savoir le bitcoin, dont le nom signifie littéralement « pièce de monnaie numérique » et qui est désigné, avec ses petites sœurs moins connues, sous les noms de « cybermonnaie » ou de « cryptomonnaie ».
On l’a vu dans cet article consacré à une conférence sur la terminologie économique organisée au ministère des Finances, les bitcoins et consorts appartiennent officiellement à la catégorie des « cybermonnaies », comme l’atteste la liste de termes spécialisés publiée au Journal officiel. Ce terme a été adopté notamment par le site Cybermonnaies.com, qui se présente comme un manuel en ligne « pour les nuls » désireux de progresser dans cet univers, et pourtant on rencontre toujours très fréquemment l’appellation « cryptomonnaies » pour désigner ces mêmes monnaies d’échange valables uniquement sur internet et totalement dénuées de support physique. Sachant que les deux préfixes cyber– et crypto- ont des sens différents, on peut se demander comment ils peuvent coexister pour désigner la même chose.
Le Littré ouvre la série de mots commençant par cyber– en définissant ainsi ce préfixe : « se rapporte à tout ce qui a trait aux nouvelles technologies via internet ». Il vient du grec kubernêtikê, qui signifie « art du pilotage ». La première définition de la cybernétique est d’ailleurs : « Nom donné par Ampère à la partie de la politique qui s’occupe de l’art de gouverner ». Il est à l’origine des mots cyberespace, cybercafé ou cybernéticien (« technicien, chercheur ou ingénieur en cybernétique »). Tous ces termes se rapportent à internet et il paraît donc logique que des monnaies qui n’existent que sur ce réseau soient qualifiées de « cybermonnaies ».
Par ailleurs, comme le rappelle le Littré, crypto– est un préfixe issu du grec kruptos, qui veut dire « caché ». On le retrouve ainsi dans toutes sortes de mots amusants tels que cryptobranche, cryptocéphale, cryptogame, cryptoneure ou même cryptocommuniste, des adjectifs décrivant des corps dont sont cachés respectivement les branchies, la tête, les organes de la fructification, les nerfs ou qui adhèrent secrètement aux idées du parti communiste. Mais, dans le domaine qui nous intéresse, l’aura de mystère et la dissimulation associées aux monnaies virtuelles les rapprochent davantage de la cryptographie (l’art d’écrire en caractères secrets), ou simplement du cryptage (moyen par lequel un message est rendu inintelligible en l’absence d’un décodeur approprié). Car cette dimension secrète est bien caractéristique de ces monnaies – oserais-je dire que c’est leur raison d’être ? Bref, sur le plan de la raison, rien ne s’opposerait à l’appellation « cryptomonnaies ».
Au terme de ces réflexions, je distingue toutefois une nuance entre cyber- etcryptomonnaies. La première appellation me semble plus neutre, et à ce titre peut-être préférable : elle désigne des monnaies qui n’existent que sur internet, point. On ne peut en déduire que leurs utilisateurs chercheraient nécessairement à rester anonymes ou à blanchir de l’argent, ce qui n’est pas le cas, pour des raisons étymologiques évidentes, des cryptomonnaies, qui sentent davantage la fraude fiscale et l’échange en ligne sans traces d’objets douteux. Préférer cryptomonnaies à cybermonnaies, finalement, équivaudrait un peu à qualifier tous les « accusés » de « coupables ». Dans cette logique, l’ambition de la Suisse de devenir une « Crypto Nation » n’est peut-être pas une excellente idée si le pays veut faire oublier sa réputation de paradis fiscal (c’est aussi l’avis du Prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz).
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