Eurovision 2019 : l’anglais, langue dominante et stratégique de l’Eurovision

Si la part de l’anglais est moins importante cette année, elle représente tout de même presque 80 % des chansons de cette 64e édition.

Par Gary Dagorn  Publié le 12 mai 2018

Pour la 62e fois en soixante-quatre éditions, la France défendra ses couleurs en finale du concours Eurovision de la chanson, samedi 18 mai, à Tel-Aviv, en français (et en anglais). Une constante chez les Tricolores, qui ne chantent quasi exclusivement que dans leurs langues (français, corse, breton et créole antillais), mais c’est un choix que tous les pays ne font pas.

Cette année, 14 des 41 chansons présentées en demi-finales de l’Eurovision sont chantées dans la langue du pays qui la présente (15 si l’on inclut Malte, où l’anglais est l’une des deux langues officielles) – c’est deux de plus qu’en 2018. Les autres pays ne chantant pas dans leur langue font systématiquement le choix de l’anglais. Pourtant, cela n’a pas toujours été le cas.

Aucun pays anglophone dans la première édition

La première édition de l’Eurovision, en 1956, ne comportait pas une seule chanson en anglais, aucun pays anglophone n’ayant participé. La première chanson dans la langue de Shakespeare est venue l’année suivante, lorsque le Royaume-Uni a présenté All, chantée par Patricia Bredin (septième place au classement sur dix participants). Il a été le seul à le faire jusqu’en 1965, lorsque l’Irlande a rejoint la compétition. Mais cette même année fut aussi la première à voir un participant chanter dans une autre langue que la sienne, le baryton suédois Ingvar Wixell ayant choisi d’interpréter sa chanson (originellement Annorstädes Vals) en anglais, ce qui provoqua une petite controverse.

Sous la pression, notamment, des Français, l’Union européenne de radio-télévision (UER), qui organisait l’événement, a alors adopté une règle imposant aux pays de présenter une chanson écrite dans une de leurs langues officielles. Mais la règle n’a pas plu aux Suédois, qui ont insisté et ont convaincu l’UER d’abandonner la règle sept ans plus tard, en 1973. L’année d’après, quatre pays chantèrent en anglais (Finlande, Norvège, Pays-Bas et Suède), permettant à un petit groupe suédois inconnu du public, du nom d’ABBA, de gagner le concours haut la main avec ce qui deviendra un tube international : Waterloo.

Durant les trois années qui suivirent l’abandon de la règle, les trois gagnants chantèrent tous en anglais. Une influence anglophone jugée nuisible aux intérêts français. Paris a donc fait à nouveau pression sur l’UER pour bannir l’emploi de langues étrangères, ce qu’a concédé l’organisation en 1977, date à laquelle la France a gagné le concours avec L’Oiseau et l’Enfant chanson interprétée par Marie Myriam. Trois autres titres en français ont remporté l’Eurovision dans les années 1980. Mais en 1998, une succession de cinq victoires en langue anglaise (quatre Irlandaises, une Britannique) a convaincu l’UER d’abandonner définitivement la règle.A l’Eurovision, l’anglais recule légèrement mais reste dominant

Ce graphique représente la part de la langue anglaise dans les chansons chantées lors des demies-finales et de la finale du concours européen de l’Eurovision.

Le choix des langues étant redevenu libre, en 1999, sans surprise, le nombre de chansons en anglais bondit alors de trois à quatorze (dont deux partiellement écrites en anglais), sur vingt-trois participants. Ironie du sort pour les Français, c’est à nouveau la Suède qui remporte l’édition 1999, après l’abandon de la règle, avec la chanson Take Me to Your Heaven, interprétée par Charlotte Nilsson.

Depuis, la part de la langue anglaise n’a cessé de progresser, année après année, jusqu’à passer la barre des 90 % lors des éditions 2016 et 2017. On note un léger recul en 2018, puisqu’on ne compte que 32 chansons écrites dans cette langue sur les 43 présentes lors des deux demi-finales.

Les pays d’Europe occidentale chantent plus dans leurs langues

Sans surprise, un examen pays par pays montre rapidement que tous les pays ne chantent pas en anglais, quand bien même le choix est libre. En ne retenant que les 33 éditions de l’Eurovision où le choix de la langue chantée était libre, la carte de l’Europe fait apparaître des disparités importantes.En Europe de l’Est, on chante plus souvent en anglais

Cette carte montre la part de la langue officielle des pays dans les chansons qu’ils présentent à l’Eurovision, sur les 33 éditions où le choix des langues est libre (hors 1966-1972 et 1977-1998, donc).

Ainsi, les grands pays d’Europe occidentale (France, Espagne, Italie, Portugal et Luxembourg) sont ceux qui chantent le plus dans leur propre langue (accompagnés évidemment de l’Irlande et du Royaume-Uni qui chantent naturellement en anglais). Un second bloc, celui des pays des Balkans, se démarque aussi, avec une part de 60 % à 70 % de langue native dans leurs chansons. Mais au-delà, la proportion des chansons en langue native se situe au-dessous des 50 %, comme en Europe centrale, en Scandinavie, ou en Europe de l’Est (Russie, Biélorussie, Lettonie et Lituanie, formant quasiment un « quatuor balai »).

Le cas des pays nordiques est intéressant, puisque même s’ils affichent une proportion supérieure aux pays d’Europe de l’Est, ils n’ont, en réalité, plus chanté qu’en anglais après 1965 et la prestation d’Ingvar Wixell (sauf une fois chacun pour la Norvège, la Finlande et l’Islande). L’Allemagne n’a également plus chanté en allemand depuis 1998 et la dernière année d’application de ladite règle des langues officielles.

Si le fait de chanter en anglais au détriment de la langue du pays n’est pas bien perçu, notamment en France (qui n’a d’ailleurs jamais gagné l’Eurovision sans la règle qui restreint le choix des langues aux participants), cela augmente clairement les chances de gagner le concours. Depuis la création de celui-ci, la moitié (31 éditions sur 62) a été remportée par des chansons écrites et chantées en anglais. Ce qui n’est pas complètement étonnant, dans la mesure où les chansons sont plus facilement compréhensibles par le public européen. Ainsi, depuis 1999 et l’abandon définitif de la règle, seules deux chansons écrites dans d’autres langues ont gagné l’Eurovision : Molitva par la Serbe Marija Serifovic en 2007 et Amar Pelos Dois par le Portugais Salvador Sobral en 2017.

Une victoire portugaise qui a surpris plus d’un observateur – y compris les parieurs –, mais qui n’est pas étrangère au regain de popularité des autres langues européennes. Cette année, le nombre de chansons non écrites en anglais est au plus haut depuis 1999.

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