Littérature, cinéma… le domaine public américain recommence à s’enrichir

VÉRONIQUE RICHEBOIS 05/02/2019

Après 20 ans de « glaciation des droits » aux Etats-Unis, des centaines de milliers d’oeuvres écrites, musicales, cinématographiques… s’apprêtent à débouler dans le domaine public. Les calculettes s’affolent.

Aux Etats-Unis, le 1er janvier 2019 restera à marquer d’une pierre blanche dans la vie culturelle. L’épisode de « glaciation » qui, pendant vingt et un ans, avait bloqué l’accès au domaine public de centaines de milliers d’oeuvres vient en effet de prendre fin. Rééditions, adaptations, suites, « prequels », etc., les industries des médias et de l’édition peuvent puiser de nouvelles idées en toute liberté.

Ainsi, de grands films américains mythiques vont devenir libres de droit, à l’image de la version originelle des « Dix Commandements » de Cécil B. DeMille, réalisée en 1923, et des premiers Buster Keaton, pour cette année…

En parallèle, une multitude d’oeuvres littéraires -telles que « Jacob’s Room » de Virginia Woolf, « Le Prophète » de Kahil Gibran, « Le Meurtre de Roger Ackroyd » et « Le crime du Golfe » d’Agatha Christie, des « Tarzan »…- entrent dans le domaine public. Des compositions musicales, peintures, poèmes, photographies et films s’apprêtent à débouler, libres de tout « royalty » à verser… comme de tout droit moral, celui-ci n’existant pas aux Etats-Unis, contrairement à ce qui se fait en France.

Mickey sur le banc des accusés

Sur le banc des accusés de cette mystérieuse « glaciation des droits » décrétée entre 1922 et 1923, un coupable : Mickey Mouse. Ou plus exactement, son propriétaire Disney, qui entama en 1998, avec d’autres acteurs de la profession, une intense campagne de lobbying afin d’allonger la durée des droits d’exploitation. La première apparition à l’écran de Mickey Mouse remontait à 1928, et, si l’on appliquait la loi, la petite souris surgirait dans le domaine public en 2004, soit 75 ans.

Sous l’impulsion énergique de Disney, le Congrès avait alors adopté la loi Sonny Bono, ajoutant 20 ans à la durée du droit d’auteur. Mickey était ainsi préservé jusqu’en 2024 et aucune oeuvre protégée par le droit d’auteur n’entrerait dans le domaine public jusqu’en 2019, créant ainsi cet étrange décalage entre la publication des oeuvres de 1922 et celles de 1923. Quid de l’avenir ? « Disney a pris toutes ses précautions en déposant comme marques la plupart de ses personnages », indique l’avocat Emmanuel Pierrat.

Une infinité de possibilités

Reste qu’une manne créative sans précédent, jusqu’ici monnayable mais parfois pas exploitée du tout, déboule, susceptible d’intéresser l’édition, l’industrie cinématographique et des séries. Tous les ans vont en effet désormais se déverser un flot d’oeuvres susceptibles d’inspirer de nouvelles productions sans qu’il ne soit nécessaire de s’acquitter de droits. Avec cet avantage que les années 1920 sont riches d’auteurs et de personnages continuant à parler à nos contemporains (Fitzgerald, Faulkner, Hemingway, etc.).

Les possibilités qui s’offrent sont presque infinies : adaptations en BD, suites, « prequels » ou remake. Voire réécriture sur papier ou à l’écran de certaines oeuvres, vues sous l’angle d’un autre protagoniste comme celui de Daisy Buchanan dans « Gatsby Le Magnifique » qui tombera dans le domaine public en 2021…

« Cette publication est sans précédent et son impact sur la culture et la créativité pourrait être énorme, estime Jennifer Jenkins, directrice du Centre d’étude du domaine public de la Duke Law School, dans le « Smithsonian » . Nous n’avons jamais vu une entrée aussi massive dans le domaine public à l’ère numérique. » Pour l’heure, les calculettes peuvent tourner à plein régime, comme les imaginations.

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