Salim Jay célèbre la littérature algérienne

Dans son « Dictionnaire amoureux des romanciers algériens », l’œuvre de plus de deux cents écrivains, algériens ou nés en Algérie, est abordée et déployée.
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Publié le  | Le Point Afrique

Plutôt qu’une compilation, Salim Jay propose une anthologie où arabophones, berbérophones, francophones et même italophones sont mis à l’honneur. Romancier et critique littéraire, Salim Jay propose donc un Dictionnaire des romanciers algériens* qui fait suite au Dictionnaire des écrivains marocains paru en 2005.

Qu’est-ce qui a poussé un auteur d’origine marocaine à écrire une telle anthologie, ample et large, sur la littérature algérienne ?

Lui-même le dit, il n’a passé que « quatre jours » en Algérie. « J’ai porté ce livre pendant près de cinquante ans. J’ai été journaliste et j’ai commencé à lire les premiers romanciers algériens dans les années 60. J’ai, par exemple, écrit sur le premier roman de Nabil Farés. » Mais, précise-t-il, « j’ai aussi écrit ce livre avec une intention politique alors que la frontière entre le Maroc et l’Algérie est fermée depuis vingt-cinq ans. Ce livre est paru déjà au Maroc, comme un symbole. »Voici pour les crispations des deux frères ennemis maghrébins. La littérature saura-t-elle faire lien ? Salim Jay semble le croire.

Algérie et Algérianité

Plus de 200 occurrences ou entrées offrent au lecteur un panorama à la fois large et détaillé de la littérature algérienne, de Yasmina Khadra et Mouloud Feraoun, pour les plus connus, à d’autres, peut-être plus confidentiels, mais que les propos élogieux de Salim Jay donnent envie de découvrir. Éléments biographiques succincts, larges pans de leur œuvre et réflexion sur celle-ci permettent de se saisir du Dictionnaire amoureux. Amoureux, il l’est effectivement, car on devine la minutie et la patience qu’il a fallu pour réunir (et avoir lu) autant de romans.

Mais qu’est-ce qui fait l’algérianité de ces auteurs ? Est-ce leur lieu de naissance ? Les thèmes traités ? La langue utilisée ? « J’ai inclus très peu d’auteurs qui n’ont pas la nationalité algérienne. J’aurais pu mettre 100 auteurs qui ont écrit sur l’Algérie, mais ne sont pas algériens. J’ai simplement voulu montrer que le tropisme algérien ne se limite pas à des auteurs ayant le passeport algérien. J’ai aussi voulu rendre hommage à ceux qui se sentent algériens, comme l’acteur Daniel Prévost, né de père kabyle. »

L’œuvre de Hélène Cixous, par exemple, porte en elle cette algérianité, l’Algérie y joue en effet un rôle important, par l’évocation de sa mère et de son enfance. « Tout comme dans celle de Jean-Noël Pancrazi où l’Algérie est vertébrale », note Salim Jay, qui ajoute : « Michel Tournier, dont j’ai été proche, m’avait dit, quand Emmanuel Roblès avait intégré l’Académie Goncourt : Nous avons élu un Algérien. »

Mais l’algérianité s’exprime-t-elle aussi à travers les thèmes abordés ? Colonialisme, religion, langue et, peut-être le principal, celui de l’identité ? Poncifs sans doute, car rien n’est moins certain pour Salim Jay qui signale la remarque qu’avait faite Mohammed Dib. Selon l’écrivain, la question de l’identité est « un sophisme que la critique a inventé spécialement pour les écrivains algériens ».

Au final, Salim Jay dans ce dictionnaire, affleure à ce qu’est l’algérianité sans toutefois en imposer sa vision. Pour lui, l’algérianité universelle est tout entière concentrée dans Nejma. « L’œuvre de Kateb Yacine est traversée par un sentiment du monde, alors que ce livre, par exemple, est présenté comme la quintessence de l’algérianité. La littérature algérienne est à la fois une main tendue au peuple algérien et l’autre au monde. Les Algériens ont une histoire si douloureuse que la confiance dans ce qu’ils peuvent produire dans ce qu’il y a de plus heureux est difficile à affirmer. Ils devraient se réjouir d’avoir une vraie littérature. Cette littérature a pour originalité de se développer des deux côtés de la Méditerranée, ce qui n’est pas le cas pour la littérature marocaine, par exemple. »

Sortir de l’ombre de Camus

Qu’est-ce qui caractérise la littérature algérienne, quelle est son originalité, dans la mesure évidemment où toute littérature est singulière ? Par définition. « Cette littérature est une des choses que l’Algérie a le mieux réussie. Mais les Algériens n’en ont pas conscience, car une grande partie se produit en français. Songez que l’analphabétisme était si répandu sous la colonisation, mais la décolonisation a produit une littérature remarquable. » Pour Salim Jay, « le style est l’identité de l’écrivain. Les auteurs crispés sur leur identité ont parfois peu à dire. Puis, le danger pour tout auteur algérien serait de répondre à un cahier des charges de l’écrivain algérien. Ce qui est le plus réussi chez les auteurs que j’aime est cette capacité à se libérer à l’assignation à résidence, Anouar Benmalek le fait bien, par exemple, puisqu’il situe son roman Fils du Shéol à des époques et lieux différents. »

 ©  DR
La couverture du Dictionnaire réalisé par Salim Jay sur les écrivains algériens. © DR

Connaître la littérature algérienne sans rien connaître de Camus ne semble pas possible. Mais l’ombre tutélaire encore lourde de l’auteur de Noces à Tipasa se fait, pourtant, légère dans le livre de Salim Jay. « Je ne le considère pas tant dans son œuvre que dans l’écho rencontré par son œuvre. Je ne l’analyse pas non plus. Le but était de produire une chambre d’écho. » L’occurrence « Camus » n’est en effet pas écrasante. Pas plus que celle de Kateb Yacine d’ailleurs, même si l’œuvre de l’auteur du fabuleux Nejma traverse tout le dictionnaire, avec plusieurs références.

Explications autour d’absents

Au détour, on s’étonne de l’absence d’une entrée qui porterait sur l’œuvre de Jacques Derrida. Certes, le philosophe n’est pas romancier, mais demeurent ses réflexions sur son algérianité, la « nostalgérie » qui traverse ses écrits, les plus biographiques évidemment, mais également philosophiques, notamment quand il interroge le statut de la langue, lui qui disait du français : « Je n’ai qu’une langue et ce n’est pas la mienne. » Salim Jay a été secrétaire d’Hélène Cixous pendant sept ans. Par son intermédiaire, il a connu Derrida et a dactylographié pour lui ses États généraux de la philosophe. « Je n’ai pas intégré dans ce dictionnaire de philosophes, à part le romancier Gilles Ben Aiche, qui était prof de philosophie, ou encore l’anthropologue Fanny Colonna, car son livre se lit comme un roman. Je cite aussi les Mémoires de l’historien Mohammed Harbi. J’aurais pu aussi inclure le sociologue Abdelmalek Sayad, qui est, certes, cité, mais qui n’a pas d’entrée propre. Mais le champ de cette littérature algérienne est tellement vaste. Mon but est de faire découvrir des talents dont on parle peu alors qu’il me semblait intéressant de les faire connaître. »

Daoud bien sûr

Kamel Daoud apparaît aussi, voire de façon évidente, même si Salim Jay dit préférer « le Daoud nouvelliste au Daoud romancier ». La nouvelle vague aussi, de Adlène Mehdi à Sarah Haidar, apparaît en occurrences qui montrent la curiosité de Salim Jay. Le nouveau Roman algérien que portent les éditions Barzakh, maison d’édition qui reprend avec bonheur le travail commencé par Edmond Charlot, éditeur de Camus et de Jean Amrouche, et qui porte le renouveau de la littérature algérienne.

Plusieurs anecdotes traversent le livre

Elles sont savoureuses, touchantes, légères aussi les anecdotes partagées par Salim Jay. D’autres que raconte, avec nostalgie, Salim Jay, du verre d’orgeat que Hocine Aït Ahmed offrit un jour au tout jeune romancier qui venait de lui offrir son premier roman à la rencontre inopinée qu’il fit avec Kateb Yacine, lequel vivait précisément dans la même rue parisienne que lui. Ses rencontres aussi, celles marquantes avec Mohammed Dib ou Tahar Djaout. Le critique littéraire, parfois féroce, pointe aussi dans les goûts et critiques qu’on devine dans certaines entrées. « Je n’ai pas de patience, surtout pour imposteurs. J’ai voulu marquer ce que je pense vraiment de chacun. Il n’y pas de littérature si on prétend que tout se vaut, que tout est bon. Mais il faut se donner le droit d’aller au bout d’un mauvais livre, fût-il d’un auteur connu. Je célèbre aussi des livres méconnus, comme le superbe La Maquisarde de Nora Hamdi ou encore ceux de Myriam Ben, laquelle a écrit des textes qui m’ont fait pleurer. Ce qui reste en mémoire, ce sont les tempéraments les plus originaux. »

* chez Serge Safran Éditeur, Paris, 2018.

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